Martin Perizzolo n’est l’humoriste préféré de personne – ses propres mots –, mais il n’y en a pas deux comme lui. Son troisième spectacle, Le dramatiste, est l’œuvre de maturité d’un artiste qui, à 49 ans, a enfin trouvé sa singularité.
Selon le célèbre adage, la comédie ne serait rien de plus que de la tragédie sur laquelle le temps a fait son œuvre ou, si vous préférez, dans la langue de Woody Allen : « Comedy is tragedy plus time. » Mais chez Martin Perizzolo, le temps n’arrange rien et le rire n’est, tout au plus, que la politesse du désespoir, le mince rempart qui sépare du précipice les êtres qui, comme lui, souffrent de lucidité aiguë.
« La vie est un drame », résume-t-il dans les premières minutes de son troisième spectacle qu’il a intitulé Le dramatiste pour la simple et bonne raison qu’il est, de son propre aveu, « lourd en tabarnac », un inquiet chronique qui a pour passe-temps favori de toujours trop tout ruminer.
C’est au son d’absolument aucune autre musique que les applaudissements du public, et après s’être lui-même présenté à partir des coulisses, que l’ancien visage des Fromages d’ici est monté sur la scène dépouillée du Lion d’Or, jeudi soir, afin d’inventorier ses sources d’anxiété.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE
Martin Perizzolo adopte un rythme lent, qui colle parfaitement au sombre regard qu’il pose sur le monde.
À l’instar de ces gamins qui traversent cette phase baptisée le terrible two, les parents de Perizzolo vivent présentement leur terrible 80, l’âge auquel il devient de plus en plus difficile de nier l’approche de la mort. Si bien qu’en l’accompagnant au supermarché, le fils n’hésitera pas à suggérer à sa maman de choisir un parfum de yogourt qui lui plaît à lui aussi, parce que c’est peut-être lui qui aura à finir le pot.
Le portrait qu’il dresse d’elle, d’un humour d’un noir opaque, aligne nombre d’hilarantes horreurs de ce genre, tout en demeurant profondément enraciné dans une palpable tendresse, un travail d’équilibriste qui témoigne de ses trois décennies d’expérience. C’est moins de toute façon la mort de sa mère que Martin Perizzolo contemple ici que sa propre angoisse face à l’abîme dont il tente de se soulager et, par le fait même, de nous soulager aussi.
Complexe comme un bleu
Décrépitude physique, pensées suicidaires, fin du monde : Martin Perizzolo fait presque passer Marc Maron pour un guilleret gaillard tant ses thèmes retournent dans tous les sens ce que l’existence a de plus douloureux.
Un immense coefficient de difficulté, duquel l’humoriste se tire haut la main, grâce à la grande confiance avec laquelle il habite sobrement la scène.
Au débit très appris de plusieurs de ses camarades, qui peinent à camoufler la mécanique de leurs numéros, il oppose, pour le meilleur, la dégaine décontractée d’une conversation entre amis. Ses propres (fausses) hésitations, et son usage habile du silence, lui servent souvent de tremplins comiques.
Malgré un écosystème humoristique qui valorise les « mitraillettes à gags », Perizz (son sobriquet) adopte un rythme lent, qui colle parfaitement au sombre regard qu’il pose sur le monde. S’il était un fromage, il serait sans doute un bleu, un goût plus acquis qu’inné, bien que beaucoup plus complexe.
Éternel insatisfait
Diplômé de l’École nationale de l’humour en 1995, l’interprète de Poudy aura mis 30 ans à devenir pleinement lui-même sur scène. À 49 ans, c’est un peu comme s’il avait atteint l’âge qui sied le mieux à son personnage d’incurable névrosé, incapable en toute occasion d’envisager autre chose que le pire. Le stand-up est heureusement une des rares formes d’arts vivants où le temps peut bonifier un créateur.
Spectacle dépouillé, sans artifice ni gratinage, Le dramatiste connaît bien quelques petits creux, dont cette diatribe sur le manque de colonne du Québécois moyen, de l’humour sociopolitique qui jure avec la nature très personnelle du reste de ses observations.
Martin Perizzolo revient heureusement à son fil rouge quand il se désole, en conclusion, que l’apocalypse qui pend au bout du nez de l’humanité ne ressemble pas assez à ce qu’Hollywood lui avait fait miroiter, la définition même d’un éternel insatisfait.

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Martin Perizzolo dans l’intimité du Lion d’Or, jeudi soir
Pendant que chez bien d’autres, les lieux communs prolifèrent, le vétéran non seulement évite les clichés, mais réfléchit également en profondeur à des questions existentielles aussi graves qu’essentielles, sous un angle authentiquement singulier et sur un ton qui, au Québec du moins, ne ressemble à rien.
Il n’est peut-être pas, comme il le souligne lui-même avec autodérision, l’humoriste préféré de qui que ce soit, mais il est ce que trop peu de ses collègues peuvent revendiquer : un véritable artiste.
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Le dramatiste
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